Légende ou réalité ?

LA LÉGENDE DE LA FLÛTE CELTE

Cercle druidique

“Brécilien”, “la fée Viviane”,” Merlin ” !! Je viens de faire un songe, et quel songe ! Impossible de me rendormir; rien n’y fait ! La forêt de Brocéliande et ses personnages de légendes me trottent dans la tête de façon si précise qu’ils semblent m’attirer vers un rendez- vous .

Huit jours plus tard, profitant d’un week-end, j’arrive sur le site… Comme dans mon rêve, me voici dos au rocher du “Pas de la Chèvre”, je marche droit au sud. Dans mon songe, la voix me murmurait : “Vers le midi : la feuille du hêtre dans la source tombera et la direction tu trouveras “. Ah ! voici la fontaine de Barenton et tout près, un hêtre ; quel mastodonte ! Pas un brin de vent, je marche sur une mousse très dense, le bruit de mes pas est inaudible. Ce silence m’angoisse, me voici maintenant au pied du colosse feuillu.

Par quel mystère je me trouve là ? Moi le cartésien ! Enfin, heureusement personne ne me voit.

Subitement, le sol se met à trembler. Serait-ce une réponse à mon incrédulité ? Effaré, je bondis en arrière, c’est pour mieux voir le géant se plier, vibrer comme un diapason. Il émet un son sourd qui se transforme rapidement en un sifflement insupportable, au plus fort de l’aigu : un bruit sec… puis plus rien, juste une feuille, une seule feuille virevolte et vient se poser dans la fontaine, sur l’une des nombreuses brindilles qui flottent à la surface de l’onde, formant ainsi une flèche.
Interloqué, je reste immobile. Mon coeur bat la chamade. Je me penche avec circonspection vers l’eau pour saisir l’objet ainsi formé, quand soudain un visage immatériel se dessine dans le cristal de l’onde. La forme gonfle ses joues envahies d’une grande barbe blanche et semble souffler sur le trait qui se met à tournoyer comme une boussole pour s’arrêter net dans la direction du sud-ouest ; l’apparition me gratifie encore d’un grand sourire… puis disparaît.
Je saisis le compas, celui-ci m’indique imperturbablement le midi. Je marche d’un pas rapide, mais vers quoi ? Je suis en plein délire !

Le soleil continue son ascension dans le ciel, Il va être bientôt 10 heures. La brume diaphane se déchire doucement. Je saute, je cours d’un sentier à l’autre, soudain… je trébuche, me voici étalé dans la bruyère près du “Tombeau des Géants”.
Ca va, pas de mal. Juste un peu de terre sur le pantalon, mais sur quoi ai-je butté ? Ma main droite saisit une pierre ou plus exactement un morceau de schiste vert. Pas étonnant, le sous-sol de la haute- forêt est constitué de plissements érodés : schiste vert, vieux de six cent millions d’années et schiste rouge âgé de quatre cent cinquante millions d’années. Mais, quelle magnifique ardoise de la taille d’une paume de main ! La rosée ruisselant sur les oxydes de cuivre lui donne des reflets de jade. Une racine de roncier la traverse de part en part, c’est sans doute ce qui l’a fait se redresser sur ma route.
Impossible de dégager l’orifice bouché par la matière végétale. Je tranche donc le rhizome par le dessous, ne gardant que la partie supérieure, je glisse le tout précipitamment dans la poche de mon vêtement, car ma baguette magique s’agite à nouveau entre mes doigts.

Je contourne la chapelle St Jean. La fin du périple ? Non, me voici reparti vers l’est, direction “la Basse Forêt” et “les Forges”. D’après les anciens, c’est en ce lieu que le monde celtique réalisait le mélange intime du fer, du feu et de l’eau ; tout métal forgé en cette forêt détenait un pouvoir magique. Au sol, la mousse, omniprésente, recouvre partiellement quelques scories verreuses et noirâtres sans doute oubliées par de lointains et laborieux ancêtres.

Guidé cette fois vers le nord, me voici face au lieu dit “le tombeau de Merlin”. Dans l’étrangeté de ce monde sylvestre, je contemple les mégalithes dont les plus anciens remontent à trois mille ans avant JC. Ici tout respire le mystère, les lichens semblent puiser leur force dans ce monde minéral qu’ils ont à coeur de recouvrir, ils brillent d’or et d’argent comme saupoudrés par la main amoureuse de la fée Morgane, regrettant d’avoir gardé le mage prisonnier dans les fameux neuf cercles. Je m’assois, dépité : mon indicateur de direction ne bouge plus, mais d’ailleurs l’a-t-il seulement fait ? L’imagination joue souvent des tours, surtout en ces lieux mythiques. Je roule machinalement le rameau entre l’index et le pouce, la feuille s’en détache .
Glissant la main gauche dans la poche intérieure de mon blouson, j’en tire le schiste associé à la racine qui m’a fait chuter . Le bois est devenu rigide, il forme une étrange sculpture, le minéral dessinant le socle. Je pose l’objet devant moi sur l’une des roches ceinturant le tombeau.

Une douce léthargie semble m’envahir. Le bruissement de la futaie environnante m’entraîne délicieusement au bord d’un sommeil hypnotique qui, ma foi, n’est pas désagréable. La clairière baigne dans une surprenante lumière. J’entends des mélodies aux accents liturgiques.

Soudain, une procession étrange émerge des buissons: des moines ! Ils se mettent en cercle et entonnent des psaumes en latin. Ils sont totalement indifférents à ma présence . Le plus grand d’entre eux, apparemment leur supérieur, tend ses deux mains nues vers les cieux ou plus exactement vers cette clarté qui se matérialise peu à peu… Une forme humaine se dessine.
Un homme vêtu d’une magnifique robe bleue brodée de fils d’or descend tranquillement de l’azur ; sur sa tête, une couronne sertie de pierres précieuses lance ses feux sur les premiers arbustes de broussailles.

C’est Le Roi Arthur ! Il est désormais parmi les moines. Tous ont mis un genou à terre et se prosternent. Le souverain semble heureux. Prenant en aparté le chef religieux, il lui remet quelque chose ; celui-ci le remercie puis, entonnant un ultime cantique, les moines s’en retournent par le sentier qui les avait vu arriver. Le Roi se dirige dans ma direction portant une sorte de corne de cristal entre ses mains. Il s’arrête, la place dans les formes tortueuses de la racine que je viens de déposer au sol.
Une voix intérieure me dit : “La quête du verre est désormais terminée. Prends possession de celui-ci et fais-en bon usage. Le souverain se rapproche de plus en plus. Je me sens terrorisé. il esquisse un signe d’apaisement. Je recule apeuré et tombe lourdement dans le profond fossé derrière moi…

Le réveil est brutal. Je viens de tomber sur le plancher de ma chambre. Un peu ahuri, je reprends mes esprits . Tout ceci n’était que le fruit de mon imagination nocturne. Un bon café me fera le plus grand bien.
Les idées quelque peu confuses, je marche en direction de la cuisine . J’ouvre la porte, Merlin, mon chat, bondit dans l’entrebâillement et s’enfuit en miaulant de terreur.

Sur la table, l’ardoise, la racine, la corne : UNE FLUTE CELTE !!! …

Michel NICOLAS